Le petit cheval bossu (bilingue)
Conte de Piotr Erchov (version populaire)
 
 

Il était une fois un vieil homme qui vivait avec sa vieille femme. Ils n'avaient pas eu d'enfants, mais ils en avaient adopté un. Quand leur fils adoptif fut devenu grand, les gens l'obligèrent à partir de chez eux. Il alla par les routes et les chemins, et il rencontra un vieil homme qui lui demanda:
- Où vas-tu, bon gaillard?
- Je vais là où mon regard se porte, sans le savoir moi-même. Je vivais chez de bons vieux, j'étais comme leur fils, mais je n'ai pas eu le choix, on m'a forcé à les quitter.
- Je te plains, bon gaillard! - répondit le vieux - Mais prends cette bride et va vers ce lac. Là-bas, tu verras un arbre, escalade-le et cache-toi dans son feuillage. Soixante-dix sept juments accourront, elles boiront, elles mangeront, elles se rouleront dans l'herbe et ensuite elles repartiront. Et un petit cheval bossu viendra. Marche alors tout autour de lui, mets lui la bride, puis va où il te plaira.

Le fils adoptif prit la bride. Comme on lui avait dit, il fit le tour du petit cheval puis il s'assit sur son dos et se mit en chemin. Il alla par ci, il alla par là. Il alla de ci, il alla de là. Et il aperçut sur une haute montagne quelque chose qui étincelait, comme un feu qui brûle. Il monta là-haut et découvrit une plume merveilleuse. Il descendit de cheval et voulut ramasser la plume. Le petit cheval bossu lui dit:
- Ne prends pas cette plume, bon gaillard, par elle tu auras du malheur!
Mais le bon gaillard n'écouta pas. Il prit la plume et continua sa route vers un autre royaume. Il y arriva, et s'engagea au service d'un ministre. Le tsar vit l'enfant adoptif, lui fit louange de son adresse et de son agilité. Là où il en fallait dix, il faisait tout seul. Le ministre ajouta:
- Et savez-vous, Votre Altesse Royale, quelle merveilleuse plume il possède?

Le tsar ordonna d'aller chercher la plume et de la lui montrer. Il tomba en admiration devant cette plume, et se prit d'affection pour le fils adoptif. Il le prit auprès de lui et le fit ministre. Et on mit le petit cheval dans les écuries du tsar.
Mais voilà, les autres dignitaires ne comprenaient pas pourquoi le tsar avait une telle bienveillance pour lui. C'était un simple serviteur, et il était soudain devenu ministre! Le secrétaire du tsar passa à côté d'eux et leur demanda:
- Mes frères, à quoi réfléchissez-vous? Si vous voulez, je vous donne un conseil. Restez tous ensemble, et baissez le nez. Le tsar va passer près de vous et demandera: "Qu'est-ce qui vous rend si pensifs? Avez-vous entendu parlé de quelque adversité?". Alors vous, répondez: "Non, Votre Majesté, nous n'avons rien entendu de mal, mais nous avons seulement appris que votre jeune ministre se fait fort de capturer l'oiseau à la plume merveilleuse."

Et ils firent ainsi. Le tsar convoqua alors son jeune ministre, lui dit ce qu'il avait entendu à son sujet et lui ordonna de lui ramener l'oiseau. Le bon gaillard, alla vers son petit cheval, tomba à genoux devant lui et lui dit:
- J'ai promis au tsar de lui ramener cet oiseau.
- Voilà, je t'avais dit: "Ne prends pas cette plume, ... il y aura du malheur!" Bon, ce n'est pas encore un malheur, ce n'est qu'un petit ennui. Va-voir le tsar, et dis-lui qu'on te fasse une cage. Certaines de ses portes s'ouvriront et les autres se fermeront. Et qu'il y ait deux coffrets dans cette cage, l'un plein de grosses perles et l'autre rempli de petites.

Le bon gaillard transmit cette demande au tsar, et tout fut réalisé sur-le-champ.
- Bien - dit le petit bossu - maintenant nous allons nous rendre vers cet arbre.
Le fils adoptif parvint à l'endroit indiqué. Il installa la cage dans l'arbre et lui-même se cacha dans l'herbe. L'oiseau arriva, il vit les perles et pénétra dans la cage. Les portillons se refermèrent sur lui. Le fils adoptif prit la cage, l'apporta au tsar et la lui remit:
- Voilà, Majesté, l'oiseau à la plume merveilleuse.

Le tsar le chérit encore plus. Et les dignitaires du royaume le détestèrent, encore plus qu'avant. Ils se réunirent et se mirent à chercher une idée pour s'en débarrasser. Passa le secrétaire du tsar qui leur dit:
- Si vous voulez, je vais vous donner un conseil. Dans un instant le tsar passera à coté de vous, il vous demandera: "A quelle idée réfléchissez-vous? Avez-vous entendu parler de quelque mauvaise chose?". Et vous, dites: "Nous avons appris que votre jeune ministre prétend dénicher en trois mois cette fiancée magnifique, que votre Majesté recherche en mariage depuis trente trois ans sans pouvoir y parvenir.

Le tsar écouta ces paroles, et éprouva une joie immense. Aussitôt, il envoya chercher son jeune ministre, et lui ordonna de lui amener sans faute cette magnifique fiancée. Celui-ci en fit la promesse. Et il alla voir le petit cheval bossu, se mit à genoux devant lui, et lui demanda son aide. Le petit bossu répondit:
- Je t'avais dit "Ne prends pas cette plume, ... il y aura du malheur!" Bon, ce n'est pas encore un malheur, ce n'est qu'un petit ennui. Va voir le tsar, dis-lui qu'il ordonne de construire un navire, de le recouvrir de velours rouge, de le charger d'or et d'argent et de toutes sortes de pierreries. Et il faudra que ce navire aille aussi bien sur l'eau que sur la terre ferme.
Le fils adoptif transmit la demande au tsar, et tout fut terminé en peu de temps. Il s'installa sur le navire, et emporta le petit bossu avec lui. Le navire traversa les terres et les mers et, finalement, accosta dans le royaume de Demoiselle-tsar.

A ce moment-là, Demoiselle-tsar s'apprêtait à se marier avec un quelconque roi. Elle avait envoyé ses gouvernantes et ses nourrices acheter ce qui lui était nécessaire pour ses noces. Ses gouvernantes et ses nourrices aperçurent le navire. Elles accoururent vers Demoiselle-tsar et lui annoncèrent que des marchandises venaient d'arriver de lointaines contrées. Demoiselle-tsar se rendit là-bas, monta dans le bateau, et ne put détacher ses yeux des raretés venues d'au-delà des mers...et elle ne remarqua pas que, depuis un moment déjà, le bateau repartait en l'emportant. Quand elle revint à elle, c'était trop tard.
- Jusqu'à maintenant - se dit-t'elle - personne n'avait jamais pu me tromper. Je n'avais jamais connu personne de plus sage que moi. Mais voilà, il s'est trouvé un tel roublard, qui a pu me jouer un pareil tour!

On l'amena au tsar. Celui-ci se la destina comme épouse, mais elle lui dit:
- Rapporte moi le coffre qui contient mes parures, et alors je serai à toi!

Le tsar donna ses ordres à son jeune ministre. Celui-ci l'écouta, alla voir le petit cheval et lui raconta l'affaire. Le petit bossu dit:
- Va maintenant tout seul par cette route. Tu auras une faim terrible, mais ce qui te tomberas sous la main, tu ne dois pas le manger.

Le fils adoptif se mit en chemin. Il tomba sur une écrevisse. Une faim violente s'empara du bon gaillard :
- Et si je mangeais cette écrevisse!
L'écrevisse répondit:
- Ne me mange pas, bon gaillard! Dans peu de temps, je te serai utile.
Il alla plus loin et trouva un brochet échoué sur le sable.
- Et pourquoi pas manger ce brochet ?
- Ne me mange pas, bon gaillard! - lui dit le brochet - Dans peu de temps, en personne, je te serai utile.
Il s'approcha d'une rivière et regarda. L'écrevisse portait des clefs, et le brochet traînait un coffre. Il prit les clefs et le coffre, et les apporta au tsar.
Alors Demoiselle-tsar dit:
- On a su m'apporter mon trousseau, sachez ramener ici mes soixante-dix sept juments, qui paissent par les vertes prairies au milieu des montagnes de cristal.

Le tsar confia cette affaire à son jeune ministre et celui-ci, à genoux devant son petit cheval, lui fit ses demandes.
- Je t'avais dit "Ne prends pas cette plume, ... il y aura du malheur!". - lui dit le petit bossu - Bon, ce n'est pas encore un malheur, ce n'est qu'un petit ennui. Va voir le tsar, dis-lui qu'il ordonne de construire une écurie dont certaines portes s'ouvrent et d'autres se ferment. Ainsi fut-il demandé, ainsi fut-il fait, au plus vite. Le bon gaillard se rendit à cheval vers l'arbre où il avait trouvé autrefois le petit cheval bossu, et il se cacha dans la verdure. Les juments accoururent, elles burent, mangèrent et se roulèrent dans l'herbe.
- Bon, - dit le petit cheval - monte vite sur moi, et éperonne tant que tu peux, pour que je galope de toutes mes forces et que les juments ne nous dévorent pas.

Le petit cheval bondit avec le bon gaillard sur le dos et il galopa de tout son souffle. Il galopa un peu, il galopa longtemps, et pénétra comme une flèche tout droit dans l'écurie avec les juments à ses trousses. Dès qu'il en sortit par l'autre côté, les portes claquèrent. Et les juments restèrent enfermées dans l'écurie.
On fit le rapport au tsar. Il alla annoncer la nouvelle à Demoiselle-tsar, mais celle-ci répondit:
- Je me marierai avec toi, quand on aura trait toutes les soixante-dix sept juments!

Le tsar donna ses ordres au jeune ministre. Celui-ci se rendit une nouvelle fois auprès du petit cheval bossu, et, en larmes, il implora son aide:
- Va voir le tsar, et dis-lui qu'il ordonne de fabriquer un chaudron qui puisse contenir soixante-dix sept seaux.
On construisit le chaudron. Le petit cheval dit à son maître:
- Enlève ma bride, va faire le tour de l'écurie, ensuite mets-toi sans crainte sous chaque jument, trais-lui un seau de lait et verse-le dans le chaudron.
Le bon gaillard fit ainsi.
On informa le tsar que le lait des juments était trait. Celui-ci se rendit auprès de Demoiselle-tsar qui répondit:
- Ordonne de faire bouillir ce lait, et baigne-toi dedans.

Le tsar fit appeler son jeune ministre et il lui ordonna de prendre le bain en premier. Le bon gaillard versa des larmes amères. Il alla vers le petit bossu et tomba à genoux:
- Maintenant, ma fin est arrivée.
Et le petit cheval en réponse:
- Je t'avais dit: "Ne touche pas à cette plume, ... il y aura du malheur". Et voilà, c'est arrivé! Bon, rien à faire, il faut te tirer d'embarras. Monte sur moi, allons au lac, cueille la même herbe que les juments mangent, fais-en une décoction et barbouille-toi de la tête aux pieds.

Le bon gaillard fit tout ce que lui avait ordonné le petit bossu. Puis, il revint, se jeta dans le lait bouillant, nagea au milieu du chaudron, prit son bain... cela ne lui faisait rien. Demoiselle-tsar ordonna de réchauffer le lait. Lorsque le lait se remit à bouillir, le petit cheval plein d'entrain se précipita vers le chaudron , par trois fois il but, et il bouscula le bon gaillard. En sortant de son bain de lait brûlant, celui-ci était devenu un homme superbe, d'une telle beauté qu'on ne peut ni la raconter dans un conte, ni la décrire de sa plume. Le tsar vit que son ministre était sain et sauf, il prit son courage à deux mains et se jeta lui-même dans le chaudron... et à la minute même, il fut cuit.

Demoiselle-tsar sortit de ses appartements prit le bon gaillard par la main et dit:
- Je sais tout. Ce n'est pas le tsar, mais toi qui as fait mes volontés. Je me marierai avec toi!

Et le lendemain, ils firent des noces mémorables.